Démolir et reconstruire


Les révolutions détruisent ; la phase de reconstruction vient après.


Par Peter Turchin − Le 1er mai 2025 − Source Cliodynamic

La station de métro Michurinskiy Prospect, l’une des 10 stations de métro qui ont été mises en service le 7 décembre 2021. Source

L’idée principale de mon précédent article était que les révolutions ne créent pas, elles détruisent. La reconstruction (si elle a lieu) vient après. L’analyse historique suggère que la phase destructrice peut être très variable, avec une durée modale d’environ dix ans. Elle est parfois plus courte, mais le plus souvent plus longue, et les guerres civiles qui s’ensuivent peuvent durer des décennies. Et parfois, surtout dans les civilisations anciennes, la phase de reconstruction ne vient jamais (pensez à la civilisation de l’Indus ou à Cahokia).

Le fait que nous soyons dans une phase destructrice semble évident tant pour les partisans de Trump que pour ses détracteurs. Ainsi, David Sacks, s’exprimant dans le podcast All-In, a affirmé que la précédente politique commerciale des États-Unis à l’égard de la Chine était une « erreur catastrophique » et que les droits de douane imposés par Trump constituaient un choc nécessaire. La plupart des partisans de Trump sont prêts à accepter des difficultés à court terme en échange de gains à long terme.

Les détracteurs de Trump, en revanche, se concentrent sur les aspects destructeurs qui, selon eux, causeront des dommages irréversibles à l’Amérique. Citons par exemple un article récent de Noah Smith, MAGA ne construit pas. Dans cet article, il évoque deux précédents historiques : l’Allemagne nazie et la Russie de Poutine. De manière assez bizarre, il affirme que le premier « a réellement tenté de construire une nouvelle civilisation fasciste » (dans la note 1), tandis que le second « n’a pas fait grand-chose pour construire la nation russe ». Je laisserai l’exemple allemand à ceux qui connaissent mieux cette période de l’histoire, mais Noah se trompe complètement sur la Russie moderne. Soit dit en passant, j’apprécie ses articles sur l’économie, mais sa réflexion géopolitique suit tellement celle du New York Times et des autres médias grand public (y compris le cliché de la Russie comme « gigantesque station-service ») qu’on pourrait tout aussi bien la lire directement à la source.

La Russie étant l’exemple le plus récent d’un pays qui a connu une révolution et la phase de reconstruction qui a suivi, il est intéressant de se pencher brièvement sur la dynamique de « création destructrice » qui a caractérisé cette période.

La phase destructrice s’est progressivement intensifiée sous le règne de Mikhaïl Gorbatchev. L’empire soviétique a commencé à se désintégrer en 1989 et, au début de 1991, le Pacte de Varsovie a cessé d’exister. Plus tard dans l’année, Gorbatchev a été brièvement renversé par un coup d’État, puis est revenu au pouvoir, mais avec un pouvoir considérablement réduit. L’URSS elle-même a été dissoute en décembre 1991. Sous le règne de Boris Eltsine, la Russie a poursuivi sa trajectoire de désintégration : prise d’assaut du Parlement en 1993, désastreuse première guerre de Tchétchénie, thérapie de choc, hyperinflation et effondrement économique, puis crise financière de 1998. Après avoir quitté l’URSS en 1977, je me suis rendu pour la première fois en Russie en 1992 et j’ai vu de mes propres yeux à quoi ressemble l’effondrement d’un État. Ce n’était pas beau à voir.

La phase destructrice peut donc être datée soit de la période Eltsine (1991-1999), soit, comme je le préfère, en ajoutant les deux dernières années de Gorbatchev, de 1989 à 1999. Il est intéressant de noter que cette période correspond à celle de la Révolution française (1789-1799), mais comme je l’ai déjà dit, les phases destructrices se caractérisent par une durée très variable.

Contrairement à Noah, je pense que la période Poutine (1999-présent) a été une période de reconstruction. Au cours de la première décennie des années 2000, je me suis rendu en Russie chaque année et l’amélioration du bien-être de la population était palpable. Le remplacement progressif des immeubles d’habitation laids et délabrés de l’ère Khrouchtchev par des bâtiments modernes était très visible (et emblématique), mais les signes de reconstruction étaient omniprésents. Par exemple, des autoroutes modernes ont d’abord fait leur apparition autour de Moscou, puis, quelques années plus tard, dans d’autres provinces. L’extension du métro de Moscou était un autre signe très visible de la reconstruction. Voir, par exemple, cet article « 10 nouvelles stations de métro ouvrent en une seule journée à Moscou ! »

Cela ne veut pas dire que Poutine a fait le meilleur travail possible. Par exemple, il n’a pas fait grand-chose pour contrôler la kleptocratie, qui s’était enracinée dans les années 1990. De plus, ses idées économiques, ainsi que celles de son équipe économique, ont été résolument néolibérales, ce qui, selon de nombreux économistes que je consulte, a ralenti le développement économique de la Russie. Malgré cela, la Russie s’est plutôt bien comportée depuis 1999. Les données économiques reflètent assez bien la dynamique initialement destructrice, puis reconstructrice :

PIB de la Russie en parité de pouvoir d’achat (PPA) de 1991 à 2019. Source

Les indicateurs relatifs au bien-être biologique, tels que l’espérance de vie moyenne, sont encore meilleurs :

Espérance de vie à la naissance (source des données)

Entre 1987 et 1994, l’espérance de vie a diminué de plus de six ans. Une croissance soutenue n’a commencé qu’après 2003, avec des revers dus à la pandémie de Covid et, plus récemment, à la guerre en Ukraine (au-delà de la période couverte par le graphique).

Le message à retenir ici n’est pas que les États-Unis vont connaître la même dynamique. Notre analyse historique montre que toutes les crises sont malheureuses à leur manière (c’est ce qu’on appelle le principe d’Anna Karénine). Nous avons d’ailleurs récemment publié un article présentant cette analyse. La seule généralisation possible à l’heure actuelle est peut-être pessimiste : il faut généralement de nombreuses années pour entrer dans une phase de reconstruction.

Peter Turchin

Traduit par Hervé, relu par Wayan, pour le Saker Francophone

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